RSF lance l’alerte : Les médias sous pression politique et la propagande en hausse
Les conditions d’exercice de la presse se sont encore dégradées, s’alarme Reporters sans frontières (RSF) dans son dernier rapport annuel paru ce vendredi matin. Une situation d’autant plus préoccupante qu’en 2024, près de la moitié de la population mondiale est concernée par au moins un scrutin, de l’Inde aux Etats-Unis en passant par l’Europe.
Cette dégradation de la situation tient avant tout à l’augmentation des pressions politiques dans le monde. « À l’échelle mondiale, un constat s’impose : la liberté de la presse est menacée par celles-là mêmes qui devraient en être les garants : les autorités politiques », écrit ainsi l’ONG en premiers mots de son rapport. Les conditions d’exercice du journalisme sont mauvaises dans les trois quarts des pays de la planète, où l’ONG constate une implication régulière des acteurs politiques dans les campagnes de propagande ou de désinformation.
En France, du mieux mais…
La Norvège reste en tête de ce 22e classement de la liberté de la presse et, à l’autre extrémité du classement (180e) se trouve l’Erythrée, qui a remplacé la Corée du Nord – à la même position les deux années précédentes. Mais de nombreux pays glissent, en bien ou en mal dans ce classement. Ainsi, l’Irlande a cédé sa deuxième place au Danemark et rétrograde en huitième position. En cause, « des intimidations judiciaires de la part des formations politiques visent des médias ».
En se classant au 21e rang mondial sur 180 pays, la France signe son troisième meilleur résultat, après ses 11e et 19e places en 2002 (sur 139 pays) et 2004 (sur 167 pays). Pour RSF, la France est donc dans une « situation plutôt bonne ». Mais cela reste relatif. Selon les responsables de RSF, si l’Hexagone gagne trois places c’est avant tout l’effet d’une « détérioration plus importante dans les autres pays ». Et au final, la France reste 14e sur 27 Etats membres de l’UE.
Les reculs les plus importants en matière de liberté de la presse s’observent en Afghanistan sous l’empire des talibans (178e, -26 places), au Togo (113e, -43) et encore en Equateur (110e, -30). A l’inverse, la situation s’améliore au Chili (52e, +31), au Brésil (82e, +10) et en Pologne (47e, +10).
Désinformation
Plus largement, cette édition 2024 met en exergue une moindre protection du journalisme par les Etats, quand ce n’est pas un rôle actif de ceux-ci dans la désinformation. RSF pointe ainsi « une détérioration préoccupante du soutien et du respect de l’autonomie des médias ».
En Argentine, par exemple, (qui perd 26 places pour s’établir au 66e rang), le nouveau président ultralibéral Javier Milei a annoncé en mars la fermeture de l’agence de presse publique Télam , qu’il accusait de « propagande ». « La situation est particulièrement inquiétante » dans ce pays dirigé par un des « prédateurs revendiqués de la liberté de la presse », alerte l’ONG.
Au Sahel, les juntes qui ont pris le pouvoir au Niger (80e), au Burkina (86e) et au Mali (114e) « ne cessent de resserrer leur emprise sur les médias et d’entraver le travail des journalistes », estime-t-elle. Le contrôle des réseaux sociaux et d’internet est très poussé au Vietnam (174e) et en Chine (172e), un pays qui, en plus d’emprisonner le plus grand nombre de journalistes au monde, pratique censure et surveillance.
L’ONG dénonce en aussi la situation au Proche-Orient et notamment l’« absence manifeste de volonté politique de la communauté internationale à faire appliquer les principes de protection des journalistes » à Gaza. Plus de 100 reporters palestiniens ont été tués par l’armée israélienne, dont au moins 22 dans l’exercice de leurs fonctions, rappelle RSF.
Mimétisme russe
Dans l’est de l’Europe et en Asie centrale également, « les censures de médias se sont intensifiées, dans un mimétisme spectaculaire des actes de répression russes », observent les spécialistes de RSF, citant le Bélarus (167e), la Géorgie (103e), le Kirghizistan (120e) et l’Azerbaïdjan (164e). La Russie, où Vladimir Poutine a une nouvelle fois été réélu en mars, se classe 162e.
De plus, l’arsenal de la désinformation s’est enrichi de l’IA générative. En témoigne un « deepfake » audio (montage perfectionné) dont a été victime la journaliste Monika Todova en Slovaquie (29e, -12 places) avant les législatives à l’automne dernier. Un contenu qui a « clairement profité à la désinformation pro russe qui sévit dans le pays », d’après RSF.
Le classement de RSF est réalisé sur la base « d’un relevé quantitatif des exactions commises envers les journalistes » d’une part et « d’une étude qualitative » de l’autre. Cette dernière se fonde « sur les réponses de centaines d’experts de la liberté de la presse (journalistes, universitaires, défenseurs des droits humains) à une centaine de questions ».
Les journalistes traitant de l’environnement victimes de menaces, pressions ou attaques
Plus de 70 % des journalistes de 129 pays qui traitent des questions environnementales ont indiqué avoir été victimes de menaces, de pressions ou d’attaques. Dans son rapport « Presse et planète en danger », l’Unesco – qui a interrogé 905 journalistes – indique que deux sur cinq disent avoir subi des violences physiques. Et que 85 % d’entre eux ont fait l’objet de menaces ou de pressions psychologiques.
Par ailleurs 60 % ont été victimes de harcèlement en ligne, 41 % d’agressions physiques et 24 % ont déclaré avoir été attaqués sur le plan juridique. Et près de la moitié (45 %) disent s’autocensurer par crainte de représailles.